La France est un des rares pays européens où la part de l’électricité provenant d’énergies nouvelles et renouvelables (ENR) a diminué entre 1990 et 2011[1]. Notre pays se prive ainsi d’un gisement d’emplois, estimé pour 2030 à plus de 500.000 emplois[2] et d’un formidable filon de croissance et d’innovation.
On sait par ailleurs que l’efficacité énergétique et le développement des ENR, ressources nationales, abondantes et inépuisables, représentent un réel atout pour réduire les importations d’énergies primaires (pétrole, gaz et uranium [3]). Celles-ci représentaient en 2012 la bagatelle de 69 milliards d’euros.
Il faut donc créer de façon urgente les conditions d’un « choc énergétique ».
Le pays s’est lancé fin 2012 dans un débat sur la transition énergétique dont on peut regretter qu’il soit peu audible [4] : organisation confuse, absence de pédagogie, débats territoriaux peu convaincants. C’est dans ces conditions que se poursuit l’asphyxie de la filière photovoltaïque, qui a de graves conséquences sur l’emploi. Les « mesures d’urgence » n’empêchent pas la disparition d’une à trois PME chaque semaine, dans l’indifférence générale. Ce constat est confirmé au plus haut sommet de l’Etat : « moins 15.000 emplois en deux ans », a reconnu François Hollande lors de la Conférence Environnementale le 14 septembre dernier. Pire, l’organisation du marché, de plus en plus étouffante, inquiète les quelques PME qui surnagent et désespèrent d’être entendues.
L’objectif récemment revu mais étriqué d’environ 900 MW/an [5] interdit toute ambition industrielle nationale, pendant que des dispositifs règlementaires font vaciller les efforts et les financements. De plus, le maintien d’une procédure d’appels d’offre inefficace et de plus en plus discriminatoire décourage le plus têtu des entrepreneurs, étranglé et dissuadé par la politique tarifaire.
Bien sûr, l’objectif peut sembler louable : limiter le dumping chinois. Mais on se trompe de cible. Le but doit être de produire massivement des kWh « verts » sur le territoire national, garants d’une plus grande indépendance, car il s’agit ici d’un des principaux enjeux de la transition énergétique.
Que pèsent en effet, deux à trois cent millions d’euros de modules chinois importés face aux 69 milliards du déficit énergétique du pays ? L’immense majorité des emplois de la filière proviennent d’abord de l’ingénierie des projets, de la fabrication des composants, de la construction, des logiciels, de la maintenance, tous non délocalisables et à haute valeur ajoutée. Imagine-t-on que la France puisse un jour concurrencer les Chinois dans la fabrication de PC ou de smartphones ? Malheureusement, non. Par contre, nous le faisons dans leurs multiples utilisations (R&D, sociétés de services informatiques, opérateurs, développement d’applications…). Et puis, s’insurge-t-on que les éoliennes d’Areva ou d’Alstom soient fabriquées respectivement en Allemagne et en Espagne. S’émeut-on que les cuves des réacteurs nucléaires EPR actuellement en construction soient fabriquées au Japon ?
Les objectifs 2020 sur lesquels la France s’est engagée vis-à-vis de l’Europe sont pourtant déjà hors de portée. On ne doit donc pas attendre 2014 / 2015 pour voir s’appliquer les premières mesures du débat sur la transition énergétique. Si pour le solaire par exemple, le moratoire de décembre 2010 a généré, par un simple arrêté, la perte de 15.000 postes, un nouvel arrêté pourrait en recréer au moins 10.000 dans l’année [6]. Au nom de quoi s’en priver, alors que la lutte contre le chômage est considérée par 80% des Français[7] comme la « priorité des priorités ».
Il est temps de prendre rapidement de telles mesures et de fixer un objectif ambitieux et crédible de production d’énergie solaire (au moins 25.000 MW). Avec de la volonté et du courage, un choc énergétique est à portée de main.
Par Paul Quilès et Benoit Praderie
Paul Quilès est ingénieur, maire de Cordes-sur-Ciel, ancien ministre et ancien député
Benoit Praderie est ingénieur, entrepreneur et président de la fédération d’associations Planète Eolienne
[1] « Energie : le retard français. » Alternative Economique, mars 2013.
[2] Etude récente du CIRED (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement) approfondissant les travaux de l’association NEGAWATT
[3] Car, en tenant compte des importations d’uranium, le taux d’indépendance énergétique réel du pays n’est que de 10% environ, loin des chiffres supérieurs à 50% annoncés officiellement.
[4]Sondage IPSOS, déc. 2012 : 4 Français sur 5 n’ont jamais entendu parler du débat national sur la transition énergétique mais 4 Français sur 5 le jugent important.
[5] C’est ce qu’ont installé l’Allemagne et l’Italie l’année dernière en… 3 semaines !!
[6] Par exemple : abandon des appels d’offres et de l’intégration au bâti, rétablissement d’un tarif simplifié avec 3 niveaux de puissance (0,35 €/kWh jusqu’à 9 kW, 0,15€/kWh jusqu’à 4,5 MW, 0,11€/kWh jusqu’à 10 MW, pas de tarif au delà), révision annuelle (et non plus trimestrielle) des tarifs planifiés sur le long terme (principe allemand du « corridor »), accélération des délais d’instruction, mise en place d’une contribution de 0,5 centime par kWh produit pour financer la R&D.
[7] Sondage IFOP pour Sud-Ouest du 6 avril 2013
http://www.enerzine.com/823/solaire—la-france-en-retard-d-un-choc-energetique/participatif.html