Le Royaume-Uni, un modèle de lutte contre la précarité énergétique ?

Depuis 25 ans, le gouvernement britannique a consacré plus de 25 milliards de livres1 à la lutte contre la précarité énergétique ce qui en a fait un pionnier dans le domaine. De plus, le Royaume-Uni est le premier pays à avoir donné une définition au phénomène de laquelle découle directement le concept français:

«a household is said to be ‘fuel poor’ if it needs to spend more than 10 per cent of its income on fuel to maintain an adequate level of warmth»2.
En l’espace de 5 ans, la lutte contre la précarité énergétique est devenue l’une des priorités de notre gouvernement, beaucoup plus novice sur le sujet que son homologue britannique. Doit-il s’inspirer de l’expérience du Royaume-Uni? Les nouvelles mesures d’amélioration de la performance énergétique venant d’être mise en place peuvent-elles servir de modèle aux législations tricolores?

Au Royaume-Uni, un ménage sur cinq en situation de précarité énergétique

En 2010, le nombre de ménages en situation de précarité énergétique au Royaume-Uni a été estimé à 4,75 millions de ménages soit 19% des foyers. Parmi les quatre principales nations qui constituent le Royaume-Uni, l’Irlande du Nord est celle qui a la plus grande proportion de ménages précaires du fait d’une plus grande proportion de ménages non raccordés au réseau de gaz et des salaires en moyenne plus faibles.


Mesurée depuis 1996, la précarité énergétique au Royaume-Uni affiche un historique riche en rebondissements. En effet, le phénomène a subi une première période de chute libre entre 1996 et 2003, imputable à la combinaison d’une baisse des prix de l’énergie domestique, d’une hausse des revenus, mais aussi de mesures d’efficacité énergétique dans les habitations. Ensuite, entre 2004 et 2009, les prix de l’énergie ont explosé et le nombre de ménages en situation de précarité énergétique a presque triplé malgré une hausse des revenus et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Aujourd’hui, les observateurs présagent une nouvelle augmentation du phénomène.


Le Royaume-Uni conjugue depuis plus de 10 ans sa politique d’efficacité énergétique avec ses mesures de lutte contre la précarité

Similairement à ce qui est fait en France, les mécanismes de lutte contre la précarité énergétique au Royaume-Uni sont de deux types : des mesures curatives qui aident les ménages en difficulté à payer les montants élevés de leurs factures d’énergie, auxquelles s’ajoutent des mesures préventives qui permettent aux ménages de consommer moins d’énergie et par conséquent de réduire leur facture. Ainsi, depuis une dizaine d’années, le Royaume-Uni possède des tarifs sociaux dont le montant et les critères d’éligibilité étaient initialement laissés à la libre appréciation des fournisseurs d’énergie. Depuis le 1er avril 2011, la mise en place du « Warm Home Discount » a poussé à une homogénéisation de ces tarifs : les ménages modestes peuvent recevoir une aide à hauteur de 135£ 3 financée par les fournisseurs, ce qui représente environ 10% de leur facture d’énergie.
D’autre part, dans le but de renforcer les mesures préventives nationales liées à l’efficacité énergétique, le Royaume-Uni a voté en 2012 une nouvelle grande loi sur l’énergie : l’ « Energy Act 2011 ». Cette loi vise au développement à partir de 2013 d’un «Green Deal» et d’un nouveau programme appelé « Energy Company Obligations» (ECO). Ces mesures se substituent au programme des certificats d’économie d’énergie anglais CERT4, sa partie destinée à la lutte contre la précarité énergétique dans les quartiers défavorisés CESP5 mais aussi au «Warm Home Scheme»6 qui arrivaient tous à échéance en 2012.


Le Green Deal fixe un nouveau cadre de financement pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments résidentiels et tertiaires, avec pour objectif la rénovation de 14 millions de logements d’ici 2020. Depuis janvier 2013, des «fournisseurs Green Deal» (fournisseurs d’énergie et certaines enseignes de la grande distribution7) financent directement pour leurs clients des travaux d’amélioration énergétique standards (isolation des combles, des murs, pose de double vitrages…). Ils seront ensuite remboursés au fil du temps grâce aux économies réalisées, via la facture d’énergie du consommateur8 dont le montant ne changera pas.
Le programme ECO fixe quant à lui des obligations d’économie de CO2 aux fournisseurs d’énergie et apporte des crédits supplémentaires là où le Green Deal est insuffisant. Deux avancées majeures dans la nouvelle loi sur l’énergie pourraient aussi inspirer la France sur la protection des locataires: à partir d’avril 2016 le propriétaire ne pourra plus refuser d’engager des travaux réclamés par le locataire dans le cadre d’un Green Deal ou ECO. A partir d’avril 2018, il sera légalement interdit de louer des locaux qui n’atteignent pas un niveau minimal d’efficacité énergétique (a priori initialement fixé à l’étiquette «E» du DPE anglais9).

La France, en retard sur le phénomène de précarité énergétique, pourrait s’inspirer de l’expérience du Royaume-Uni

Aujourd’hui, la France manque de recul sur les effets induits par ses mesures de lutte contre la précarité énergétique mais pourrait apprendre beaucoup de l’exemple anglais. Précédemment, Sia Partners avait établi une comparaison des tarifs sociaux en France et au Royaume-Uni et souligné les similitudes des mécanismes en place, à l’exception du fait que ce sont les fournisseurs britanniques qui financent ces tarifs et non les clients.
Par contre, sur les mesures d’amélioration de la performance énergétique des logements l’approche du Royaume-Uni semble tout de même plus originale, ambitieuse et efficace. A titre d’illustration, en 4 ans, la proportion de logements des ménages précaires ayant une étiquette B, C ou D sur le DPE anglais est passée de 40 à 56%. Contrairement à la France, le gouvernement britannique a essayé d’associer l’objectif de diminution des émissions de CO210 à la lutte contre la précarité énergétique au travers des mécanismes CERT et CESP de certificats d’économie d’énergie. En effet, 40% des obligations de réduction et donc des travaux réalisés dans le cadre du CERT devaient obligatoirement être réalisés auprès d’un «groupe prioritaire» (personnes disposant de faibles revenus ou âgées). L’autre dispositif, le CESP, concernait quant à lui uniquement les quartiers défavorisés. Cependant, après l’expérimentation de ces mécanismes, l’«Energy Retail Association»11 a conclu qu’il était inapproprié de mélanger ces deux objectifs. En effet, les obligations sur la proportion de ménages modestes subventionnables ont rendu le mécanisme coûteux et difficile à soutenir pour les fournisseurs qui devaient clairement identifier ce « groupe prioritaire », au détriment du réel objectif d’économies de CO2. Ainsi, en 2013, le Green Deal et ECO ont revu le principe du « groupe prioritaire » pour une obligation de réduction des coûts de chauffage sur les ménages précaires et apportent notamment une solution au financement des travaux.
Dans le dispositif des CEE (certificats d’économie d’énergie) français, le lien avec la précarité énergétique a été pensé différemment puisque ce sont les programmes de rénovation qui sont valorisés en certificats. Cependant, afin de satisfaire à l’un des principaux axes d’amélioration du dispositif relatif aux ménages modestes, le gouvernement réfléchit à mettre en place pour la troisième période des CEE un mécanisme de tiers financement où un opérateur financerait les travaux et se ferait rembourser par les économies d’énergie (partagées à moitié avec le consommateur), similairement au mécanisme Green Deal. L’instauration de quotas sur le nombre de ménages précaires, bien que remis en cause outre-Manche, est également en cours de concertation.
Enfin, le Royaume-Uni est en avance sur le programme «Habiter Mieux» français pour les mesures de subvention des travaux. Son programme ECO finance le montant total des travaux, pour un plafond de ressources plus élevé et plus de travaux éligibles, le tout accessible à la fois au propriétaire et au locataire. En parallèle, le programme Green Deal propose un financement intelligent des travaux qui va bien au-delà de l’éco-prêt à taux zéro français, trop peu ambitieux avec ses restrictions sur les travaux éligibles et n’ayant pas su séduire sur son fonctionnement similaire à un prêt classique.


Aujourd’hui, de nombreux mécanismes de lutte contre la précarité énergétique ont été testés au Royaume-Uni et lui permettent de bénéficier d’un retour d’expérience que les autres pays en Europe n’ont pas encore. Les mesures mises en place jusque-là sont globalement efficaces mais ne suffisent pas pour diminuer le nombre de ménages précaires dans la conjoncture défavorable d’augmentation des prix de l’énergie. Grâce à ces retours, le gouvernement britannique a récemment revu sa copie et vient de lancer une série de nouvelles initiatives. Parmi elles, le mécanisme Green Deal pourrait offrir une solution au problème majeur de financement des travaux pour les ménages modestes sans dépenser d’argent public, à une époque où les gouvernements sont bloqués avec des déficits budgétaires massifs. En attendant les premiers résultats, la France pourrait avoir tout intérêt à s’inspirer de ce mécanisme pour faire évoluer ses législations en vigueur…

R. Guénot

Références :
(1) Rapport du Médiateur National de l’Energie
(2) « Un ménage est en situation de précarité énergétique s’il a besoin de dépenser plus de 10% de ses revenus en énergie pour garder une température adéquat dans son logement »
(3) Montant de la subvention pour l’année 2012/2013
(4) Carbon Emission Reduction Target
(5) Community Energy Saving Programme
(6) Mécanisme de subvention de travaux d’amélioration de la performance énergétique à hauteur de 3500£
(7) Tesco, Mark&Spencer, B&Q, …
(8) Le fournisseur d’énergie reverse la somme perçue à travers la facture au « fournisseur Green Deal »
(9) L’étiquette « E » du DPE anglais équivaut approximativement à l’étiquette F du DPE français.
(10) Dans la loi « Climate Change Act 2008 », le gouvernement britannique s’est donné comme objectif de réduire les émissions de CO2 de 34% d’ici 2020 et 80% d’ici 2050
(11) Association de fournisseurs d’énergies au Royaume-Uni